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A sept heures du matin, de la fenetre du troisieme etage, derriere son rideau de voile, Jonathan scrute le Luxembourg avec la concentration' d'un medecin legiste qui étudie un cadavre. Le faisceau de ses jumelles se faufile entre les feuillages vert-jaune, les pelouses vert-bleu, les mollets des coureurs et les cranes des promeneurs, puis s'immobilise. II decouvre une femme au milieu de la scene, sous un vieux marronnier. EIle danse, une épee à la main. Son arme étincelle, Ses gestes sont lents, eIle intrigue le public. L'épee glisse lentement, avec assurance, et calligraphie un langage codé. L' actrice avance, recule, se retourne, plie les jambes, se tient sur un pied, tend l'autre en l'air. Soudain, ses gestes s'accelerent, son arme semble se multiplier. Les mots qu'elle dessine éclatent en gerbes d'étincelles,
Elle est pékinoise. Son passé se résume en dix pages imprimées, Jonathan, et quelques initiés aux secrets de ce monde, les ont lues. EIle est née le 23 décembre 1968, à six heures du matin, à l'hôpital de Hai Dian, à I' ouest de Pékin. Quelle fut la douleur de l'accouchement, quelle fut la joie des parents, quels visages s'imprimèrent sur la rétine de ses yeux qui s'ouvraient pour la première fois ? Quelles conversations son oreille a-t-elle enregistrées ? Quelle fut la couleur de l'aube qui s'était levée pour I'accueillir ? Quels sont les bruits, les odeurs, les frémissements, espoir et déception, qu'on enregistre lorsque la vie se dévoile ? Ces détails restent ignorés. Ils ressemblent à des bulles de savon et dédient leur éclat furtif à l'oubli, unique spectateur de cet univers en constant changement. Seuls comptent les dates, les faits, les quelques paroles recueillies ou réinventées, ici et la, pour établir le fichier d'une existence. 1968, en Chine, dans ce pays où le soleil décline tandis qu'il se lève en Europe, la Révolution culturelle fait rage. Les parents d' Ayamei, des universitaires, vont effectuer plusieurs séjours dans des camps de rééducation, laissant leur fille unique aux soins de la grand-mère paternelle. A six ans, l'enfant est envoyée à l'école de l'Orient Rouge, aujourd'hui rasée et remplacée par un grand magasin. Dans cette biographie officieuse, pas une ligne sur son corps qui poussait, ses sentiments qui se formaient, pas un mot sur son apprentissage de la discipline, les premiers exercices de la raison. Le monde du renseignement fait également abstraction des vêtements. Mais Jonathan devine que, sous l'influence révolutionnaire du voisin soviétique, elle a dû porter l'uniforme des Jeunes Pionniers, chemisier blanc, pantalon bleu et foulard pourpre, le tout en coton car la soie avait disparu dans ce pays menacé par la famine.
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